eh, toi, qu'est-ce que tu viens faire par ici ? Ici ou ailleurs, je ne sais pas, je ne sais plus. Tout cela n'a aucun sens, nous ne sommes que des pions au milieu d'un immense jardin. Les fumées me tuaient petit à petit, les miroirs de ma sexualité banalisée, les moments hors du temps n'existaient pas. L'horloge ne cessait de tourner, ne cessait d'avancer, me foutait pas la paix. Mourir à petit feu, tout vivre sans avoir rien vécu. La nécessité de lui échapper. Je crois qu'il voulait me tuer.
d'où tu nous viens, tu faisais quoi avant ? parle nous un peu de ta vie avant. Une parmi la foule, une parmi d'autres. Un nom qui n'était pas le mien, pseudonyme inventé, imaginé, malaxé par leurs voix éraillées. Identité flouée, individualité écrasée, corporalité surexposée. Un corps qu'on se donne sans âme. Un corps qui se vend, se prête et s'échange. Un corps sans visage, un corps sans nom, un corps sans valeur, mais un corps que l'on paye. Vendeuse de sourire, donneuse de bonheur, prêteuse sur gage de réconfort. Fallait que je lui amène de quoi vivre non?
et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ? Le temps que ça se calme, le temps qu'il se calme. Me planquer, me planquer, y'a pas d'autres choix, pas d'autres solutions. Garder la tête dans les nuage le temps qu'il oublie à quoi elle ressemble. Le temps de calmer l'horloge, le temps d'arrêter la montre, le temps d'évacuer le temps.
tu fais quoi de tes petites mains sinon ? Mains impures d'avoir trop touché, d'avoir trop caressé. Mains impures de n'avoir pas pu l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. Mains impures de n'avoir pas arrêté les siennes.
Le fil de ma vie s'est brisé, déchiré, fil qui éclate. L'aiguille m'est tombée des mains. Tentative de la reprendre en main, tentative d'écrire mon destin. De filer le fil, dans mes doigts, de filer le fil de ma vie, le fil de leurs habits. Tentative de recoudre ce lien humain, ce fil de pensées qui se perd.
Je couds et je m'y perds.


L'homme est vil. J'ai appris à l'aimer. Celui-là parmi d'autres.
A le laisser m'aimer. A le laisser m'aduler, m'adorer. Me prendre. Puis me vendre.
Je voulais apprendre. Prendre le temps
De le regarder. De lui sourire.
Il me fallait rire. Faux.

Il fallait aller vite. La vitesse qui te rattrape, le temps qui ne te lâche pas.
Foutue ville.
Foutue fumée.
Foutu terrain vague.
La brutalité de l'homme est pire que la douceur d'une bête.
La douceur de l'homme est inexistante.
Riante.
Moqueuse.
L'hymen a disparu. L'hymen est déchiré. Vendu. Moqué. Tu donnes ton hymen, tu donnes ton cœur. Y'a pas le choix tu tombes amoureuse. Fous que nous étions.
Mon premier amour. Mon premier patron.
Celui qui te rend adulte, celui qui te rend crédule.
Celui qui te casse la mâchoire, celui qui te met sur le trottoir.
Il est déjà trop tard.
Ils font la queue. Pour te donner la leur.
Ils font la queue. Pour 50 billets de bonheur tu te vends en malheur.

Le vice de l'homme est pire que la vertu d'un enfant.
La vertu de ma vie ? Inexistante. Ou si petite. Petite. Petite vertu.
La joie ma mère. Le rien mon père. On me dit fille de. On me dit fille d'eux.
Je ne suis qu'une. Parmi d'autres. Filles des bois ou fille de la rue. Fille de rue.

Le sourire au visage, la cigarette à la bouche, la jupe courte, les mains qui courent, qui s'égarent, les doigts qui s'avancent. Vision universelle, intemporelle, d'un homme et d'une femme. D'une femme et d'un homme. De ces hommes qui cherchent ces femmes. De ces hommes qui achètent ces femmes, qui se les vendent, qui s'en moquent, qui les usent et les abusent.
Pour 50 centimes de bonheur. A peine le prix d'une cigarette et d'un fond de bouteille.

Les mains qui s'avancent dans la rue. Qui te touchent. Qui t'attouchent.
Le corps qui se détruit, le corps qui se met à gonfler. Le corps qui se dédouble. Le corps qui crée le corps.
Image universelle de ces deux corps qui en forment un autre. Ma main sur mon ventre, son poing sur mon ventre.
Mort-né.

Silence.
Fuite.
Vide.