eh, toi, qu'est-ce que tu viens faire par ici ? 'me regarde pas comme ça, s'il te plaît. j'ai pas fait exprès, moi. j'avais le pouce en l'air, direction l'ailleurs et la vieille voiture s'est arrêtée. c'était un garçon, il m'a dit, allez, monte, toi et moi, on va rejoindre les étoiles. je l'ai cru, tu sais, j'ai fait semblant de le croire, parce que, derrière, je ne laissais que des cendres et du verre brisé, des trucs moches, qui entaillaient ma peau à chaque nouveau pas. j'suis montée dans son vieux radeau qui sentait la bière chaude et on a roulé, longtemps, sans dire grand chose. on s'arrêtait manger sur le bord de la route, on dormait comme on pouvait. parfois, j'avais froid et j'voulais qu'il m'embrasse mais il m'effleurait à peine, alors, j'disais rien. à la fin, on était ici. il m'a regardé et il m'a dit, maintenant, tu peux arrêter de faire semblant, maintenant, petite, tu peux vivre. cette fois ci, j'ai décidé d'être naïve pour de vrai et je suis tombée la tête la première dans ses mots d'espoir.
d'où tu nous viens, tu faisais quoi avant ? parle nous un peu de ta vie avant. j'ai oublié qui j'étais. j'ai oublié les rues dans lesquelles j'errais des nuits entières. j'ai oublié les doigts qui tâchaient ma peau d'ecchymose de toutes les couleurs - c'était comme des fleurs qui fleurissaient sur mon épidermes avant de faner, tendrement. j'ai oublié les jours à marcher loin du lycée, de l'autre côté du fleuve, pour que personne ne me cherche, pour que personne ne me trouve. j'ai oublié mon prénom, celui écrit quelque part sur mes papiers - je refuse de m'appeler morgan, ne prononce par ce prénom devant moi, pitié, laisse-moi. j'ai oublié le feu que j'ai allumé en sursautant un peu trop fort - ou alors, était-ce lui, ses allumettes, ses envies suicidaires ? j'ai oublié la course, j'ai oublié la vie. et si tu refuses de croire à mes mensonges, s'il te plaît, essaie de faire semblant.
et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ? je voudrais, pour une fois, prendre le temps. j'ai l'impression d'avoir été enfermée dans une boîte trop petite pendant cent ans, j'ai l'impression de ne plus avoir vu de ciel depuis un siècle. j'ai mal aux bras, j'ai mal aux jambes. je marche et mes os craquent, mes nerfs craquent, mon sourire craque. je tiens pas vraiment droit, j'ai peur que le vent me fasse un croche-pattes. j'ai mal à la peau toute entière, elle est plus fine que du papier de soie, on voit les veines à travers et si tu la caresses, même doucement, elle se froisse. alors je serre les dents, je serre les poings, je cogne dans les arbres qui ne demandent rien à personne. je voudrais prendre le temps de guérir au milieu de ce tout, de ce rien.
tu fais quoi de tes petites mains sinon ? à part s'écorcher à l'écorce, mes mains tremblent, elle hésitent. je suis arrivée depuis quelques jours et je m'essaie un peu à tout. je voudrais apprendre à coudre, mais c'est un carnage. je tente de nourrir les animaux mais je sursaute à chaque geste brusque. tous les matins, je cueille des fleurs que je dépose sur le pallier de ceux qui m'ont arraché un sourire la veille. ça m'apaise. mais ce n'est pas un métier. je voudrais qu'il y en ai un qui me choisisse. un métier rien que pour moi.


elles sont comme des couteaux qui coulent de mes joues à mon cou. un jour, elles me tueront, il n'y aura plus que du sang, sur le sol et sur les murs, tu verras, ce sera beau. tu ne me crois pas, n'est-ce pas, tu ne me crois pas ? c'est ton image que je vois chaque nuit, c'est pour ça que je ne dors plus. ce sont tes dents qui mâchent mes cauchemars avec délectation, je voudrais foutre un coup de pied dedans et les briser toutes d'un seul coup. mais non. je regarde les étoiles et j'écoute son souffle juste à côté. il ne me touche presque pas, il ne me parle presque pas, mais je le trouve plus beau que le ciel, plus beau que les oiseaux, plus beau que le silence.
plus beau que toi, cela va de soi.
ici, ils ne regardent pas encore de travers, même si je ne sais rien faire. ils ne disent pas "tiens, regardez la jolie pute" quand je passe devant eux, ils ne me sifflent pas, ils ne reluquent pas mon cul. pourtant la pute, c'est tout ce que je sais faire, tu le sais toi, que je suis juste bonne à offrir mon corps aux chiens qui gueulent à la lune. j'ai peur d'eux comme tu m'as appris à avoir peur de toi, j'ai peur d'eux parce que parfois ils ont tes yeux, je tremble et je suis certaine qu'ils ne voient plus que ça. j'ai peur mais je ne le dis pas. et je sais que le garçon aux yeux de chat n'est pas loin.
à ceux qui demandent, je dis que j'ai tout oublié, je mens un peu, je ne sais plus. mais il y a des détails qui m'échappent : qui a mis le feu à la cabane ? est-ce que tu as couru avec moi ? est-ce que je peux tuer ? viendras-tu me hanter ?
je voudrais rester ici toute ma vie,
même si je n'y ai sûrement pas ma place.
je voudrais rester ici toute ma vie,
et disparaître.