Allez cours. Vas y cours. Cours plus vite, plus loin, plus profondément dans les bois. Cours jusqu'à faire exploser tes poumons, jusqu'à ne plus pouvoir respirer, jusqu'à ne plus sentir tes jambes, jusqu'à t'écrouler. Cours jusqu'à t'épuiser, et jusqu'à ne plus pouvoir faire demi-tour. Parfois, j'rêve de m'y perdre, dans ces bois. J'rêve de ne plus retrouver mon chemin et de crever là, juste là, au beau milieu des bois. Ça serait triste, n'est-ce pas ? Ou beau, j'sais pas. Au fond, la vie c'est quoi ? Pas grand chose, pas grand chose... Et c'est si facile, à briser, un vie. C'est si facile d'y mettre fin. Un coup de cutter au bon endroit, une balle juste là, quelques médocs et un verre d'eau, un accident de voiture, une mauvaise chute, ou tout simplement un cœur qui arrête de battre. C'est triste. Parfois, j'passe des heures à regarder le ciel et à me demander à quoi rime ma vie, mon existence toute entière, et j'souris comme un con en pensant à ce que j'étais avant. Avant... Avant c'était facile, c'était beau, mais avant j'étais aveugle. J'connaissais rien, j'voyais rien, j'avais rien vécu alors que j'pensais tout savoir. Ouais, j'étais con, ouais. Aujourd'hui j'en sais pas plus, mais j'suis conscient de pas mal de choses. J'suis conscient de la mort, de la perte, de la peur, et surtout, surtout que l'éternité n'existe pas.

Alors je cours. Je cours pour évacuer cette rage qui monte en moi, cette rage contre la vie, contre ma vie, contre cette foutue destinée qui semble maudite, truffée de pièges et mariée au malheur. Je cours pour ne pas avoir à frapper la première personne qui osera dire un mot de travers, pour ne pas avoir à déballer mon sac en cognant sur les murs, pour ne pas craquer et trouver de quoi me soulager de cette vie. La nature m'apaise, me calme, comme si elle aspirait ma colère, ma haine, ma rage. Me voilà au bord d'une cascade, en haut de la falaise, et j'entend le fracas de l'eau en bas qui murmure. Il y a quelques heures, je n'aurais probablement pas hésité à sauter et colorer le liquide transparent de rouge pour partir rejoindre ma sœur, bien loin d'ici. Mais maintenant, je vais mieux. Maintenant, je me sens mieux. Et je sais pourquoi je vis : je vis pour elle. Et c'est la douleur qui me le rappelle. Alors je m'assieds là, sur un rocher, et j'observe le spectacle en silence, imaginant ce que Silver me dirait si elle était là. C'est beau ici. Je souris. Pourquoi on n'est pas venu là plutôt, hein ? Je souris de nouveau, et mes yeux brillent. Si elle était là, si seulement elle était là... Soudain, un bruissement derrière moi me fait me retourner brusquement. Une jeune femme tatouée sortie de nul part avec un air paumé. Salut. Je souris encore, mais je me force, et j'efface cette lueur mélancolique dans mes yeux en un battement de cils. Je remets mon masque de pierre, encore une fois, comme d'habitude. Dans ma surprise, je remarque que je me suis levé. J'suis un peu parano, ces derniers temps, qui plus est. Mes épaules se détendent alors que mon regard détaille cette demoiselle inconnue. Vit-elle au campement ? Si oui, je ne l'ai définitivement jamais vue.