eh, toi, qu'est-ce que tu viens faire par ici ? c'est tout ce que t'as toujours rêvé. t'as besoin de respirer à nouveau. comme quand t'étais gosse, que tu t'amusais pour un rien, que t'avais pas à te soucier de ces conneries qui se passent dans le monde. mais là, t'en a marre. de tout, t'as besoin de t'échapper. c'est con, et c'est aussi c'que tout le monde dit. ils veulent tous le rêve, être épanouis. toi, t'es encore un autres d'ces vieux moutons. mais les autres comparé à toi, ils sont cruels. t'as l'impression d'avoir tout connu, et tu sais que y'a rien de bon chez ces gens. toi, c'est pas pareil, tu sais que tu passes pour une conne, une salope. c'est pour ça que tu te retrouves ici. t'as voyagé, t'as vu, t'as fumé, t'as bu. t'as tout fait, en un an, mais là, tout ce que tu veux, c'est te ressourcer.
d'où tu nous viens, tu faisais quoi avant ? parle nous un peu de ta vie avant. amsterdam. amsterdam, la ville folle, qui ne dort jamais. comme toi, tu passes tes nuits à observer les étoiles, à rêver. la famille, les amis, les soirées, t'as jamais connu. depuis que t'es môme, t'as du te débrouiller seule. de foyer en foyer tu passais, et t'as enfin pu te barrer à la majorité. tout ça pour quoi, pour fumer, se défoncer. tu voulais expérimenter, découvrir l'intégralité du monde, alors t'as tout fait pour. tout ce que tu voulais, c'était voir. ouvrir les yeux, ce que faisait de toi, tu t'en foutais. du moment que t'avais les tunes et l'envie, ça combattait tout. c'est comme ça que ça c'est fait, comme ça que t'y es arrivée.
et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ? le temps qu'il faudra, sans doute. surement pour un bon moment, parce que, bordel, t'en as besoin de cette bouffée d'air frais. t'en as besoin parce qu'il faut que tu te retrouves seule, sans personne autour de toi, et que ça, ça t'avais manqué.
tu fais quoi de tes petites mains sinon ? tu te détruis, tu te consumes de l'intérieur, et probablement que ça doit paraître sur l'extérieur aussi. tu t'en fous, tu te dis qu'ils vaut mieux crever jeune, beau et con, que la vie est une trappe, et que quoi qu'il arrive, on en sortira jamais vivant. en vrai, tu sais pas pourquoi t'es là, vivante. t'as toujours cru que la vie, c'était simple, mais c'est bien plus que ça. tout ce que toi t'es capable de faire pour gagner ta vie, c'est proposer tes services. tu fixes des sommes, tu récoltes les pourboires, t'amasses. c'qui te sauve, c'est la beauté. parce que malgré toute cette merde, le monde, il est beau. faut en profiter, se dire que ça va aller, qu'il faut pas s'inquiéter.


tu sais pas où il t'emmène, mais tu le suis. tu sais pas si tu peux avoir confiance, mais de toute façon, t'as pas le choix. c'est ce que t'as décidé, de ne pas avoir le choix, pas pour ça, en tout cas.
t'arrives dans un coin un p'tit peu pommé, avec ce gars louche. t'as déjà eu pire, donc tu te dis qu'au final, t'es bien tombé c'te fois-ci. tu restes bouche cousue et tu fais ton business, puis, dès que l'argent se pointe, tu t'en va.
l'oiseau prend son envol, et vole, vole vers l'espoir. l'espoir d'une vie meilleure, comme on dit. là, c'est vraiment ça. tu penses à toutes les choses incroyables que tu pourrais vivre, comme les gamins gentils, beaux, qui ont tout. tu veux tout ça. tu t'imagines les vagues, les tornades, l'océan et la terre. la nature, que tu aimes tant, et dont tu rêverais de voir l'étendue.
tu t'arrêtes et tu restes plantée là. t'es là, mais t'es pas là. tu te sens vide, mais lourde à la fois. c'est comme si t'était un poids dans ce vieux monde, mais qu'au fond, t'es comme les autres. t'es un autre pion dans ce jeu qu'est la vie.
la cigarette dans une main, l'autre qui passe dans tes cheveux, tu te mets à penser et à pleurer. les cendres de ta cigarette se noyant avec les sanglots, ça devient une habitude. tu sais même plus pourquoi, à vrai dire, t'as jamais su. un trop plein d'idées fusent dans ton esprit, tu sais plus où te poser. tu penses à la famille que t'as pas eu, le frère et la sœur que t'as jamais connu. après tout, t'as appris à vivre par toi-même, et tu vivras tout le restant de ta misérable vie par toi-même. t'es pas capable de supporter la compagnie de quelqu'un très longtemps.
mais t'as vécu beaucoup, gamine, c'est ce en quoi consiste la vie. pourtant, tu sais que c'est pas suffisant, que toi, t'es pas suffisant. mais toi, t'attends de ta vie qu'elle commence, tout simplement.