C'était comment, là-bas ? C'était bien ? Pourquoi t'es parti ? Pourquoi t'es ici ? C'est mieux ici ? Dis moi. Allez, dis moi. Non. Non j'te dirais pas putain, j'te dirais rien. J'ai pas envie, j'ai pas envie de causer, pas envie d'parler, surtout pas de t'en parler. T'as pas envie de savoir, j'te jure, t'as pas envie. T'as pas envie de pleurer, de t'étouffer, de crier, de voir du sang, d'entendre des mensonges à foison, de tomber de haut, de te sentir inutile, moche, con, idiot, seul, perdu, effrayé, terrorisé. T'as pas envie, j'te jure, t'as pas envie. Alors voilà, voilà. Moi j'suis con, égoïste et idiot. J'te vend du rêve comme un connard, j'te vend des paillettes, je déverse des étoiles dans tes yeux pour apaiser mon cœur, pour apaiser ta conscience aussi un peu. Alors j'souris, j'gratte un peu ma guitare et je chantonne des vieux trucs que j'ai écrit. C'pas de la bombe, non, mais apparemment c'est suffisant. Et toi tu souris bêtement, à chaque fois, comme si j'étais la plus belle chose que t'ai jamais vu, comme si j'étais un extraterrestre, comme si j'étais différent. Mais j'le suis pas vraiment, finalement. Mais t'y crois, t'y crois parce que je te mens, j'te mens tout le temps. Et ce soir, tu vas sans doute pointer le bout de ton nez encore une fois, parce que t'as tendance à me pister, à me suivre partout, à m'espionner presque. Ca me fait doucement sourire. Oh, tiens, te voilà. Je souris, bienveillant, et retourne à ma guitare. Comme toujours, c'est toi qui dira bonjour.

Il est beau River.
Je le vois de là où je suis.
J'arrive pas à bien voir son visage, mais ça se voit, que c'est lui.
Moi en tout cas je le sais.
Il n'y a qu'à regarder sa silhouette.
J'en connais pas une autre qui brille autant que ça,
C'est à en faire pâlir les hautes lumières, c'est vrai, j'vous jure.
C'est qu'il est tout lumineux ce garçon.
Ça m'en donne limite mal aux yeux parfois, toute cette lumière.
(mais c'est pas très très grave, ça m'empêche pas de le regarder, je veux dire c'est pas grave d'avoir mal, pas pour quelqu'un comme ça, pas pour lui en tout cas)
Allez, je m'avance vers lui.
C'est qu'il est beau regarder d'en bas, mais magnifique vu d'en haut et puis de là, je vais pouvoir lui parler, pouvoir l'entendre.
J'ai l'impression que ça fait une éternité que je ne l'ai pas fait.
(La dernière fois, y avait le soleil bien haut dans le ciel et maintenant il est un peu bas et puis j'avais le cœur qui battait super fort aussi, enfin ça, ça veut rien dire, il va battre super fort là aussi, je le connais bien)
Je monte sur le rocher et puis je le vois.
Il fait froid dehors et j'ai les joues un peu rouge (mais pas de froid)
Il est beau.
Il me sourit.
Il joue de la guitare
Et moi je fonds.
Les notes de musiques viennent chatouiller mon oreille, viennent la caresser, tandis que je m'installe à ses côtés.
Boum. Boum. Boum.
Tiens j'avais raison, y a mon cœur qui recommence à battre un peu plus vite,
au rythme de la musique un peu.
C'est beau, je trouve, le mélange de la guitare avec mon cœur.
C'est beau ici, avec River.
- C'est beau...
Je souffle, une fois que la musique s'apaise.
C'est qu'il n'aurait pas fallu que je gâche la musique avec ma voix.
- Tu m'apprendras un jour, à jouer comme ça ?
A dompter les cordes ?
A faire quelque chose de mes dix doigts ?
- Oh et puis, ça va ?
Je suis partie un peu dans tous les sens dans ma discussion, mais c'est pas de ma faute, c'est River, il me met un peu sans dessus dessous.

T'as cette douceur qui m'fait du bien, une douceur dans la voix, dans le regard, dans ton être tout entier. Une douceur dans ta personnalité qui m'apaise. Alors même si j'te mens, même si au fond, j'fais pas que du bien, j'suis bien avec toi, j'aime passer du temps avec toi. Et parfois, ouais parfois, j'ai l'impression que tout ce que je te raconte est vrai, que j'suis bel et bien cet auteur-compositeur-interprète connu de tous en quête de solitude et d'anonymat. Comme souvent, comme toujours, tu m'as rejoint alors que je suis en train de jouer, mes doigts s'échauffant sur les cordes de ma guitare. Ta présence me fait sourire, et tes compliments encore plus. Tu m'apprendras un jour, à jouer comme ça ? Je tourne la tête vers toi et plonge mon regard dans tes yeux bleus. On s'y perdrait, c'est fou. Oh et puis, ça va ? Ça va ? Non, non ça va pas. Ca va pas mais bien sûr que non, j'vais pas te dire ça. J'vais mentir, encore, toujours, comme toujours. J'vais pas te dire que j'ai mal, que je brûle, que j'ai envie de frapper, hurler, tout casser. J'vais pas te dire que j'vais imploser, que j'veux me barrer, que j'veux m'tuer. J'vais pas dire ça, ça va pas. Ça va oui, et toi ? Regard bienveillant, sourire bienveillant, visage bienveillant. Elle est adorable, cette petite. Semblable à une petite chose fragile, semblable à cette enfant rencontrée au campement, innocente, avide de découvertes, avide d'histoires, avide de paillettes. Je t'apprendrais si tu veux, mais ça abîme les doigts, tu sais. Je reporte mon attention sur ma guitare alors que j'entame une reprise acoustique de Don't Cry, des Guns n' Roses. Cette chanson, je l'ai apprise par coeur pour l'enterrement de ma petite soeur, et depuis, elle est celle que je joue le mieux, celle que je joue tout le temps, celle qui me fait pleurer, et qui fait pleurer toutes celles et ceux qui l'entendent. Mais là, je n'ai pas envie de la chanter, car je n'ai pas envie que tu me poses des questions sur la signification des paroles, car je n'ai pas envie de t'expliquer, vraiment pas. Alors il te suffit d'écouter, il te suffit d'apprécier. Mes doigts se mouvent d'eux-mêmes sur les cordes et je lève la tête, observant le soleil qui se couche à l'horizon, bercée par le son de ma guitare. Je songe à ma vie d'avant, et celle de maintenant. Je songe à ma soeur, à mon père, à mes amis, à mon passé. Je songe à ici, à Bettie, à Zoé. Je songe à tout ce qu'il m'est arrivé, à tout ce qu'il va m'arriver. Je songe au bonheur, au malheur, à la vie, à la mort. Puis je ferme les yeux, et le visage de Silver envahit mon esprit, il danse devant mes paupières closes. J'ai envie de pleurer, mais je ne peux pas, je ne dois pas. Je me mords la langue pour retenir la rage et la tristesse qui montent en moi, les ravale toutes les deux, pusi rouvre les yeux sur les dernières notes de la musique. Le silence plane quelques instants au dessus de nos têtes et je reste là, sans bouger, à contempler le campement en dessous de nous et les montagnes au loin. Tu aimes ? te demandai-je sans te regarder, de peur que tu distingues le brillant des vestiges de mes larmes au fond de mes yeux.