la cigarette s'allume et puis, doucement, se consume. c'est comme nos vies, non?? on vit très fort et puis à peu, on s'éteint, déçus, désarmés. c'est comme ça que ça marche?
il est tout seul, allongé sur ce bout de rocher (il voudrait qu'on lui fasse un signe), la clope qui pend entre les lèvres. il attend la nuit mais le jour persiste, il y a le soleil qui veut briller encore un peu sauf que la lune commence à le pousser tout là haut. il les a déjà vu se battre plusieurs fois et à chaque fois c'est la lune qui gagne (la nuit est plus forte que tout). alors après ça, les étoiles arrivent et puis là enfin c'est le meilleur moment, quand tout brille et que les comètes dansent ensemble.
il attend, il attend mais le soleil se marre entre les nuages.
vas t'en !

puis au moment où le soleil part se coucher, la fille arrive, la fille avec ses longs cheveux bruns (il l'a déjà vue quelque part, une fois, il n'oublie pas un visage robbie)
elle s'assoit près de lui mais des perles de pluie coulent le long de son visage, et malgré tout elle est jolie
il a toujours aimé regardé les filles pleurer parce que ça les rend vulnérable, mais là, là il se sent bizarre alors il la regarde pendant un moment, et il éteint sa cigarette parce que le jour commence à s'éteindre lui aussi
pourquoi tu pleures??

elle tourne la tête vers le garçon, essuie vite ses yeux,
et sourit du mieux qu'elle peut.
elle sourit tout le temps lele, pour chasser les idées noires, chasser la laideur du monde.
mais aujourd'hui son sourire tremble un peu.
- je pleure à cause de lola, mais c'est pas grave.
bien sûr que c'est grave lele, vous vous aimez et elle te dit que t'es idiote, bête, trop stupide.
mais c'est pas grave hein, c'est pas grave, c'est jamais grave avec toi, lele.
- et toi, qu'est-ce que tu fais là ?
elle regarde la cigarette qui se meurt dans l'herbe, et affiche un petit sourire gêné.
- j'suis désolée, mais t'aurais pas une cigarette ?

elle a le sourire qui ment et on dirait une princesse qui aurait perdu son prince charmant,
il voit bien que les larmes coulent quand même (juste à l'intérieur, mais lui il voit quand les filles sont tristes, parce qu'elles deviennent toujours plus belles et qu'elles peuvent se briser comme les étoiles filantes)
c'est qui lola??
il la regarde très très fort avec ses grands yeux, mais il veut pas lui faire peur alors il continue de regarder le ciel, et il attend que la lune soit là. j'attends la nuit.
et puis il lui tend une cigarette avec son sourire, un peu comme s'il lui tendait son coeur (celui qu'il a perdu il y a longtemps)

nouveau sourire, arrête ça, elle dirait lola. qu'est-ce que t'es chiante quand tu souris tout l'temps comme ça.
mais là c'est un sourire triste. c'est qui lola ? lui il pose la question comme si lola elle comptait pas,
comme si elle avait pas déjà fait quinze fois le tour du camp.
- lola c'est mon amoureuse, et elle est pas toujours très gentille avec moi.
elle est carrément méchante, mais lele laisse passer, comme toujours.
de toute façon, si lola le dit, c'est qu'il y a forcément un fond de vérité.
bête, idiote, inutile, même pas jolie, trop grande, trop maigre,
des yeux moches, des mains toujours sales, des cheveux pas coiffés.
t'es insignifiante lele, elle dit lola.
et lele de dire oui, t'as raison, excuse moi...
elle lève le nez et regarde le soleil qu'est encore là.
- elle est pas prête de venir la nuit, t'en as encore pour un moment.
elle prend la cigarette et la porte à ses lèvres, prend dans sa poche le feu qu'elle garde avec elle, toujours.
et en plus tu sens la cigarette lele, t'es vraiment nulle comme fille.
pardon lola...
- j'suis désolée mais j'arrive plus à me souvenir si on se connait ou pas. j'suis lele, et toi ?
elle prononce son prénom (lili, elle aime bien) comme elle cracherai un truc dégueulasse, parce qu'elle sait que lola le trouve moche, son prénom,
et si lola le trouve moche, alors il l'est forcément.

une fille qui fait pleurer une autre fille... c'est pas souvent qu'il entend ça, d'habitude c'est les garçons qui font pleurer les filles, c'est eux qui brisent leurs petits coeurs avec leurs vilains sentiments et leurs vilains mots (mais en fait les garçons peuvent faire pleurer les garçons eux aussi)
je vois pas pourquoi on pourrait être méchant avec toi.
et c'est vrai parce qu'elle a un sourire qui pourrait faire tomber les étoiles du ciel... il comprend pas robbie???
j'attendrais. j'ai le temps, elle arrive toujours quand on sait l'attendre.
(petit silence... ils écoutent la nuit tomber, sa chute est un murmure)
je sais pas trop. je crois t'avoir déjà vu. moi c'est robbie.

elle prend lele, le temps de réfléchir.
pourquoi lola est méchante avec elle ? à part les raisons habituelles (bête, stupide, pas intelligent), lele voit pas.
peut-être que lola l'aime plus et veut juste un moyen de la faire fuir.
aujourd'hui elle a presque réussi son coup, alors, parce que lele a plus du tout envie de se blottir contre elle (au moins jusqu'à la fin de la nuit).
- bah, je crois que lola, elle a pas besoin d'une raison particulière. elle doit juste pas m'aimer assez.
et elle a raison, tu penses, lele ? raison de dire tout ce qu'elle te dit ? mais c'est pas comme ça que les amoureux font, lele.
mais lele elle sait pas, elle a jamais été amoureuse avant. y a bien eu isha, mais isha...
isha quoi.
- ça t'ennuie si j'attends avec toi ? j'ai pas envie de retourner là-bas maintenant.
elle fume lentement, laisse s'élever la fumée et regarde le soleil qui tombe, tombe, un peu comme elle.
mais lui se relèvera demain matin, alors que pour lele, rien n'est sûr. rien n'est jamais sûr.
- tu m'aurais vu où tu penses ? à l'atelier des potiers ?
y a pas vraiment d'autre endroit où tu traînes tes mains sales lele, alors c'est forcément là.

elle fume doucement, un peu comme un adolescent qui fumerait sa première cigarette, et alors la fumée danse dans les airs, jusqu'à toucher le soleil qui décline enfin. les oiseaux rentrent chez eux et puis le vent se radoucit (la nuit arrive!!!), robbie a le sourire qui grimpe jusqu'aux cieux. ça y est, enfin.
désolé... je comprends pas trop, je crois qu'il y a forcément une raison.
il baisse les yeux parce qu'il sait pas trop trop parler aux gens (il sait pas les rassurer lorsqu'ils sont malheureux)
non ça ne m'ennuie pas, on peut attendre la nuit ensemble si tu veux.
il est content que quelqu'un soit là pour regarder le spectacle avec lui, il se dit que tout le monde devrait regarder les étoiles arriver par milliers, se déposer sur la grande toile noire étendue au-dessus d'eux (en fait, la nuit étoilée c'est une oeuvre d'art)
c'est possible... je traîne un peu partout, des fois, tu es potière toi?

le soleil s'en va enfin, paresseusement, et laisse la place aux étoiles, à la lune.
assise à côté de robbie, elle est restée silencieuse un très, très long moment.
elle aussi, elle en avait assez du jour, des rayons qui vous chauffent la peau.
elle voulait du froid, la buée qui s'élève quand elle parle, en même temps que la fumée de sa cigarette.
et puis finalement c'est là. la nuit.
alors elle se remet à parler.
- avec lola, y a jamais de raison. si elle t'aimes pas, elle te le dira, c'est tout. elle est... lola, et c'est déjà énorme. trop gros pour moi. j'ai rien à faire avec elle, je crois.
c'est ni vrai ni faux, elle y croit sans y croire, lele. elle est pas faite pour lola, mais en même temps, elle est pas heureuse sans elle. y a pas de juste milieu, entre elles.
- potière, oui. j'ai repris l'atelier de mes parents. et toi, qu'est-ce que tu fais ?
sans attendre la réponse de robbie, elle se lève et se dresse face à la lune, ronde, immense. elle se tient face à sa pâleur, et c'est le visage de lola qu'elle voit, là, devant elle.
elle jette un coup d'oeil à robbie, un petit regard triste.
- et toi, personne te fait pleurer, hein ?

tu sais moi je crois que si quelqu'un te rend malheureux, tu ne devrais pas rester avec.
il dit ça comme s'il s'y connaissait... pourtant lui aussi il avait été heureux mais on reste pas heureux à vie, c'est pas possible?? faut tous qu'on y passe et que nos coeurs se déchirent d'amour et de haine?? (finalement c'est la même chose, entre aime et haine y'a pas beaucoup de différence)
oh, moi je joue du piano dans un bar pour des gens qui n'écoutent même pas, qui s'enivrent et qui noient leur désespoir sur le comptoir. (ceux qui ne croient plus en la vie, qui ne croient même plus en l'espoir, en rien)
la fille se lève et, face à la lune, elle ressemble à un enfant-loup qui crierait sa rage à la nuit... parce que la nuit nous écoute toujours et qu'elle nous prend aussitôt dans ses bras quand elle nous voit pleurer des larmes de pluie
moi? oh, si tu savais..
il sourit (ironiquement) et il sort sa guitare posée à côté : il est temps de jouer des poèmes aux étoiles.

debout, lele se sent un peu mieux.
c'est qu'à force d'être assise, courbée sur son travail, concentrée sur ses mains,
elle oublie de se redresser, de regarder autour d'elle, et de s'affirmer.
c'est pour ça que les gens lui marchent dessus à longueur de journée.
et comme elle y est habituée, elle ne dit plus rien, la gamine.
elle baisse le nez, quand même. regarder trop longtemps le ciel, elle sait plus faire,
surtout quand robbie parle des malheureux (elle l'est) qui ne devrait pas rester avec ceux qui les rendent triste (elle peut pas faire ça, quitter lola)
- c'est encore pire sans elle, je me sens... c'est comme si on avait drainé tout le sang de mon corps.
d'un côté y a ça, cette aridité dans son coeur quand lola n'est pas là,
mais quand elle est là, qu'elle l'assassine avec ses mots,
lele meurt un peu. pas de solution à tout ça.
- amène le piano ici, nous on t'écouteras. je suis sûre que c'est beau, ce que tu joues.
elle l'entend à peine murmurer, et elle se retourne pour le voir sortir sa guitare.
il comment à gratter doucement, et lele écoute.
elle fait rien, elle dit rien, debout face aux étoiles, face à la lune, elle écoute.
et puis...
- si je savais, quoi ? parle-moi de toi, tu veux ?
mais elle aussi bien pu se taire, parce que dans sa musique, robbie met déjà un peu de lui.

il fredonne un peu, ses doigts gratouillent sur les cordes ce morceau qu'il connaît à peine. son coeur bat très vite (il est prêt à exploser), il a l'habitude de jouer devant des ivrognes mais pas devant des princesses. il continue à regarder le ciel qui s'éteint petit à petit : si les étoiles étaient des musiciennes, leur mélodie serait certainement très douce et elle illuminerait le visage des filles qui pleurent dans la nuit, de celles qui auraient perdu leur prince charmant au carrefour des rues mal éclairées.
- alors pars la retrouver. dis lui que tu l'aimes et que t'es rien sans elle.
il s'est arrêté de jouer et alors le silence est redevenu très lourd autour d'eux. il n'y a que le bruit de la nuit et des astres qu'il tente d'attraper depuis qu'Il s'est en allé.
- moi? qu'est-ce que tu veux savoir? je crois que ma vie est tout sauf intéressante...