t'es partie, qu'est-ce qui t'es arrivé pour que tu veuilles mettre les voiles comme ça ? Kova : j'veux partir.

Et Mana a réfléchi. Elle n'y avait jamais pensé. Elle n'a jamais calculé l'ailleurs, justement c'est pas sous ses yeux, c'est ceux dont certains parlent, mais aucun n'est parti pour revenir. Personne pour lui raconter ce qu'est la vie là-bas pour quelqu'un comme elle. Des gens différents sont venus, mais leurs mots ne valent pas grand-chose, ils sont pas nés ici, ils savent pas ce que c'est. Elle n'a jamais médité à ce sujet. Jusqu'à ce que Kova en parle.

Kova, tu as planté une idée dans mon esprit. T'es bête. T'aurais pas dû.

Maintenant j'y pense, souvent. J'suis dans les hautes herbes. J'suis face à l'eau. J'suis face à mon tableau blanc. Et j'imagine ce que je n'ai pas sous les yeux. Je rêve à l'ailleurs.
J'veux ce que je n'ai pas.
J'veux le gris, le matériel. J'veux connaître ce qu'on me raconte. J'veux vivre ce qu'ils ont vécus, les choses qu'ils ont fuis. J'veux me faire renverser. J'veux me faire hurler dessus par un inconnu. J'veux puer le métro. J'veux sentir la friture. J'veux vivre à cent à l'heure. J'veux écouter leur musique, leurs mots, apprendre leurs langues. Regarder leur boîte à images. J'veux avoir de l'argent, j'veux me noyer dans des billets verts. J'veux rencontrer ces autres gens, ces aliens. J'veux prendre l'avion, la voiture, le train, le bateau, slalomer en vélo. J'veux avoir des bleus aux coeurs, des bleus sur les genoux par la ville. J'veux me noyer dans leurs nuits ensoleillées. J'veux devenir aveugle grâce aux lumières des villes. J'veux boire un café dans un dinner. J'veux lire un livre en haut d'un immeuble. J'veux sentir mon coeur battre au rythme des klaxons.
J'veux pleurer sur le béton, le manger, le sentir, le vivre, le peindre. J'veux voir l'autre vie.

J'voulais l'espace.

J'voulais plus entendre les oiseaux. J'voulais plus voir ce vert émeraude. J'voulais plus entendre l'eau du ruisseau, le silence des morts. Les gens qui ne parlent pas, les gens qui ne sont que des fantômes.

Et j'me suis trompée.
t'es partie, mais t'es surtout rentré(e), il s'est passé quoi là-bas ? Mana : J'veux rentrer.

Jamais contente. Une fois dans la folie, il lui manquait son petit coin de paradis. Elle n'avait aucun repère, aucune forêt dans laquelle se ressourcer. Rien, juste le néant. Rien pour elle. Aucune inspiration, qu'un brouhaha constant, permanent. Elle était fatiguée, exténuée. Et elle s'est surprise à lui écrire.

Kova, j'ai besoin de toi.

J'suis crevée. J'peux rentrer ? Est-ce que je peux revenir ? Tu voudras toujours de moi ? Est-ce que je pourrais toujours me lover dans le creux de tes bras ? J'veux réentendre ton coeur battre. J'veux encore deviner ta voix fatiguée par une longue journée de vie. J'veux te revoir. Tes yeux me manquent. Je cherche ton odeur dans la vie ; introuvable. Ta voix se glisse dans mes rêves, mais ce n'est pas pareil. Je me languis tellement du goût de tes baisers.
Mais ce serait admettre mon échec que de revenir, tu penses pas ?
Je sais pas trop.
Personne n'aime ici. Personne n'est beau. Personne n'est attentif. Personne n'écoute.
Tout le monde est seul. Et j'veux plus l'être. J'veux être deux. J'suis mieux à deux.
Kova et Mana. Mana et Kova.
Tu veux toujours de moi ?
Parce que j'crois que je vais ramener des trésors avec moi. J'ai de l'expérience pour une vie, maintenant. J'suis plus une gamine, Kova. J'te jure. J'suis quelqu'un de grand maintenant. J'sais ce que je veux faire. J'veux ramener de la ville dans notre paradis. J'vais le peindre, poser sur la toile mon souvenir. J'veux mêler ici et là-bas dans des coups de crayons. J'suis sûre que ça peut-être bien.

J'espère.


et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ?
Plus jamais elle prendre ses jambes à son cou.
Plus jamais elle fuira loin d'ici.
Plus jamais.
Pour toujours dans ses bras.
Pour toujours loin de l'ailleurs.
Pour toujours.

C'est comme une promesse qu'elle s'est faite à elle-même.
Toujours avec toi, Kova.
Jamais loin de toi.
tu fais quoi de tes petites mains sinon ?
Un coup de crayon par ici.
Un coup de gouache par là.
Un tableau blanc et une nature morte.
Un peu de couleur mélangé à un peu de gris.


Mana a eu une idée folle, s'enfuir.
Mana est partie, sourire aux lèvres. Le coeur battant.
Au revoir, Adieu ! Qu'elle hurlait.
Elle claquait des bises à qui en voulait.
Elle pleurait, de bonheur ? De tristesse ?
Elle pleurait de ne plus vous revoir.
Elle était heureuse de vous laisser, pour la vi(ll)e.

Et elle est revenue.
Pleurant, sous une pluie battante.
Comme une enfant.
Personne pour l'accueillir. Personne, seule.
Elle souriait, de bonheur ? De tristesse.
Elle va le revoir, bientôt.
Elle va lui faire la surprise.
Elle se réveillera bientôt à ses côtés, dans ses draps.

Et demain elle recommencera.
Elle ira près de la rivière.
Elle y installera son chevalet.
Ses conneries à terre et l'esprit dans l'imaginaire.
Elle peindra, elle mélangera. Elle créera.
Elle a hâte !
Demain elle ira humer les fleurs qui lui ont manquées.
Bientôt elle reverra leurs couleurs.
Demain elle vous aimera à nouveau.
Elle a hâte de claquer des bises.
De pleurer, de bonheur ? De tristesse ?
Elle trépigne sur le chemin du retour.
Mais personne ne sera là.