eh, toi, qu'est-ce que tu viens faire par ici ?
je suis là pour gagner du temps.
parce que le temps est compté, et qu'le temps m'a perdue.
que maman veut mourir, moi avec.
et j'ai pas envie de devenir du papier recyclé dans une page du journal,
devenir ces cratères sous les yeux de ceux que j'aimais bien,
n'être plus rien qu'une épitaphe, devenir un nom qui donne la gerbe,
celui de la fille de la mère,
celui de la suicidaire.

je lui ai dis à maman,
maman avant qu'on que tu meurs,
avant que tu claques, avant qu'on que tu m'abandonnes,
j'veux aller voir les hautes lumières maman,
j'veux aller éclater mes yeux contre les lustres,
et les atteindre.
(et peut être que les lumières me sauverons, peut être que les lumières nous sauverons. peut être que les lumière nous prendrons, ou peut être que je trouverais la mienne de lumière).

d'où tu nous viens, tu faisais quoi avant ? parle nous un peu de ta vie avant.
d'où je viens les enfants faisaient cocorico quand je passais.
comme le chant du coq quand il crie l'aube demain.
là-bas les mecs se prenaient pour lucky luke parce que j'étais dalton.
d'où je viens on faisait des dimanches les jours de tapin,
et des lundis les jours sacrés.
d'où je viens j'avais des projets,
je voulais m'acheter une voiture, une R5 comme on les retapait avec papa,
(papa il réparait les voitures).
et je voulais me faire mal contre les garçons,
et me saigner aux ongles des filles,
je devais me battre en duel contre le destin,
et j'voulais un chien aussi.
d'où je viens on avait le rêve idiot,
de tâcher nos âmes trop blanches pour que ça ressemble aux ciels.
c'était vraiment con comme rêve.
maintenant elle est rayée mon âme,
rayée jaune,
comme la ligne sur le quai.


et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ?
maman elle dit qu'on est pas là pour longtemps,
que c'est juste le temps que j'avale toutes les lumières du ciel,
et puis ensuite il faudra faire comme elle a dit.
la ligne jaune d'abord,
puis les rails,
les doigts qui s'emmêlent,
le train,
le silence.
elle dit qu'on est là jusqu'à ce que les violettes fleurissent,
parce que c'est joli les violettes,
quand ça pousse dans les fissures des tombes.
mais moi j'ai pas envie de voir les violettes fleurir,
moi j'veux que fleurissent les ecchymoses a force d'être arrosées par les larmes de maman.
moi j'veux vivre,
et c'est sensé prendre pas mal de temps je crois.


tu fais quoi de tes petites mains sinon ?
mes mains d'abord, elles faisaient des couronnes avec les pâquerettes quand j'étais petite,
et puis après j'me les ai noircies au cambouis des bagnoles, à l'usure des pneus, odeur de caoutchouc et d'étincelles (avec papa).
et puis papa il est parti et j'ai plus rien fait de mes mains que tenir celles de maman pour l'empêcher de nous emmener trop vite sous les tombales fleuries.



J'avais décidé.
De vivre.
Et maman elle a dit.
Maman elle a pleuré.
Des larmes amères, qui ressemblaient à des vampires.

Mon p'tit cœur, ma p'tite fleur,
pourquoi papa est parti ?
Pourquoi papa revient pas ?
Tu veux bien, s'il te plait, venir t'allonger encore une fois,
sous le plafonnier de la chambre, couleur cierge,
sur le lit de cent-soixante centimètres,
tu me tiendras la main,
Et demain peut être.

Et puis j'ai perdu le compte du temps, et le temps le compte des minutes.
Et c'est devenu comme une ombre qui s'étend,
une ombre rayée comme les prisonniers, comme les daltons,
rayée jaune.

Mon p'tit cœur, ma p'tite fleur,
on a plus rien a faire ici,
on a plus rien a vivre ici,
tu veux bien, s'il te plait, venir t'allonger une dernière fois,
sous le ciel décharné, couleur os,
sur les rails du train,
je te tiendrais la main,
et demain jamais.


La nuit parfois je rêve maintenant.
De ces rêves cannibales qui bouffent les nuits.
La nuit je rêve.
De lumières et de trains.
Les orteils sur le bord de la ligne jaune,
et le cœur qui se balance au dessus des rails.
(j'crois que je m'agite dans mon sommeil, j'ai les cheveux collés au crâne le matin).
Je vois le grand phare du train, comme la plus basse des hautes lumières,
et puis maman debout au milieu, avec ses yeux tout gorgés d'amertume,
et quand elles tombent ses larmes, ça rouille les traverses métalliques des rails.
Je vois maman, des violettes qui sortent déjà de sa bouche, de ses oreilles, de ses mains tendues vers moi (les violettes c'est mauvais signe),
La ligne jaune qui mange l'horizon sous mes pieds,
celle qui dit qu'il faut rester derrière.
Et je m'apprête à couper la ligne, à traverser,
je m'apprête a la rejoindre, à sauter, à céder ma vie, à suicider ma virginité, devant la mère éplorée,
et puis lui.
juste lui.
et maman c'est trop tard,
j'ai p'têtre le coeur rayé jaune, jaune suicide,
sauf qu'entre les rayures,
c'est rayé bleu,
bleu rivière.