les hautes lumières, c'est quoi pour toi ? les hautes lumières, j'y baigne depuis que je suis gosse. mais les hautes lumières qui m'ont vue naître, c'est celles d'un petit village paumé en Norvège. j'ai débarqué ici avec mon frère quand j'avais genre, trois ou quatre ans. les trous du cul du monde, j'ai toujours connu ça. donc ouais, j'peux dire que les hautes lumières, elles ont jamais cessé d'me brûler la rétine depuis toute gamine déjà.
le goudron, les voitures, la technologie, toutes ces choses là, ça ne te tente pas des fois, ou t'es plutôt grand air ? les prairies, les jolies fleurs, tout ça... ouais bon, ça va bien cinq minutes. j'en peux plus de la cambrousse à perte de vue. j'parle tout le temps d'ailleurs, tout le temps. je cesse pas de m'imaginer cette jungle urbaine bordée de goudron que mes pieds aimeraient fouler pour la première fois de ma vie. c'est peut-être sale, moche et tout gris, mais j'm'en fiche. j'crois bien que j'ai besoin d'un grand bol d'air pollué, rien que pour voir ce que ça fait. il paraît que là-bas, ils ont même pas des tonnes de bornes à faire pour trouver un petit bout de béton sur lequel rider, ça m'fait frissonner d'envie. même qu'ils appellent ça des skate-parks... si ça c'est pas la meilleure invention du monde!
et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ? j'sais pas, vraiment pas. une chose est sûre, j'ai grandi ici, mais je compte certainement pas y crever, comme mamie y a crevé. un jour, quand j'en aurai vraiment ma claque, j'partirai sans me retourner, sans penser à demain, en claquant bien fort la porte derrière moi. et puis, les autres avec leurs délires hippies, j'les emmerde. à moi la grande ville et les skate-parks! j'crois bien que là-bas, j'me sentirai enfin à ma place.
tu fais quoi de tes petites mains sinon ? mes petites mains habiles, j'm'en sers pour chiper deux trois billets à la caisse de l'épicerie du coin lorsque le vieux croûton qui me fait office de patron oublie de me payer. quand l'argent me manque, je m'improvise garderie ambulante. j'ai souvent des mioches dans mes pattes, mais faut croire qu'ils m'aiment bien.


sven, elle en fait qu'à sa tête.
sven, elle parle trop trop fort, trop mal.
sven, c'est une sale gosse.
sven, elle nous les brise.

sven, elle est pas comme lui, comme elle, ou même comme toi.
c'est le vilain petit canard, celle qui elle dérange, parce qu'elle est de ceux qu'on ne catalogue pas.

il y a son visage parsemé de tâches. rousses, comme sa chevelure. et puis, il y a son regard aussi. celui qui provoque, qui agace. ses yeux qui pétillent de malice. ses yeux revolvers, son regard qui tue. si elle tire la première, c'est foutu. chaque regard qu'elle lance est un défi. elle aime jouer, la gamine. son sourire, esquissé au coin de ses lèvres, il donne toujours l'impression qu'elle se fout de la gueule du monde en permanence. mais lorsqu'il vient du cœur, il est empli d'une sincérité désarmante. on a envie de se joindre à elle, parce que c'est beau de voir quelqu'un qui arrive à sourire comme ça sans raison. on aimerait bien savoir comment elle s'y prend.

sven, elle hésite pas à montrer qu'elle profite de la vie. son passé, jamais elle le ressasse. elle le laisse derrière elle, il est très bien là où il est. sa rage de vivre, elle l'extériorise. elle gueule, elle rit à s'en déboîter la mâchoire, parce qu'elle en a envie. elle est comme ça la gamine, toujours à en faire des tonnes. à se marrer pour un rien. toujours en train de la ramener. elle se prend pour qui, celle-là?

sven, si elle avait pas les cheveux qui lui tombaient jusqu'en bas du dos, elle aurait pu être un garçon. avant, elle piquait les fringues de son frère pour s'amuser, quand elle était gosse. et même encore maintenant c'est toujours le cas. la sale gosse, elle est pas féminine pour un sou. de toute façon, les filles, elle les a jamais supportées. parce que les filles, c'est chiant. ça se fringue comme des traînées, et puis c'est trop compliqué. les garçons, en revanche, elle les aime bien, parce qu'ils sont un peu tous cons et ça la fait sourire. elle se sent à l'aise avec eux, parmi eux.

sven, elle est malade. le syndrome de peter pan l'emprisonne, la couve d'utopies. à ce qu'il paraît, on s'en sort difficilement. elle veut pas grandir, la gamine. c'est pas son heure, elle a encore trop de choses à faire, trop de choses à vivre. dans sa tête, elle se revoit fêter ses quinze ans. comme si depuis, tout s'était arrêté. et puis elle, en attendant, elle en profite, beaucoup trop. ses responsabilités, elle n'a jamais cessé de les esquiver, elle les fuit comme la peste. irresponsable, effrontée, immature. petite conne. et ses parents, dans tout ça, ils sont où? morts et enterrés, depuis belle lurette. c'est comme si ils avaient jamais été là.

svenja, c'est encore une enfant, avec des étoiles en plein dans les yeux, en plein dans la tête. elle rêve de voir les choses en grand, un horizon nouveau, des lumières toujours plus hautes, toujours plus belles. on serait presque attendri de la voir, son skate sous le bras, avec l'espoir qu'un jour, elle puisse enfin rouler sur du vrai bitume. elle gueule un peu trop souvent, un peu trop fort, mais elle est pas bien méchante. elle a beau cumuler les défauts, faut pas lui en vouloir, à cette sale gosse.