eh, toi, qu'est-ce que tu viens faire par ici ?
Je viens rêver mon existence bombe à retardement, je viens quitter le terne et m'envoler dans le bleu du ciel. Tout le jour, je vois des parterres de fleurs cannibales, des bouquets ensanglantés, des colchiques dans les prés jaunes, des automnes malades. Tout le jour l'envers du décor, pollution, terrorisme, guerres et compagnie. Lentement ma vie s'empoisonne. Je fugue toutes les nuits. La lune comme compagne et le vent comme ami. Je viens pour le bleu de méthylène, l'amour cristallisé, les garçons perdus, les sœurs égarées. Je fuis les seringues, les scanners, les blouses blanches. A moi la vie, bon sang !

d'où tu nous viens, tu faisais quoi avant ? parle nous un peu de ta vie avant. Vomir le passé mal digéré et rêver sa vie en technicolor. Un numéro. Un cobaye humain. De la chair à canon. Bon vent. Il te reste quoi ? Mes regrets sur la langue. Il faut désinfecter. Stérilité maximale. Mes passions désincarnées. Mes amours imaginaires. Mes fantasmes asséchés. Syndrome d’immunodéficience acquise qu'ils ont dit en chuchotant, il fallait presque lire sur les lèvres. Le S. Le sexe avec lui, mille nuits blanches. Le I. L'instinct de survie. Le D. La déchéance. Le corps en fuite, qui démissionne. Bye bye. Le A. Achevez-moi !

et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ? Jusqu'à ce que mes ailes se consument entièrement. Enterre-moi là. Je suis prêt. Je grave dans le ciel mon testament. Je ne conçois plus la notion de temps. Je ne compte plus que les souvenirs à venir. Des bouts épars, des mots, des visages, regards que l'on imprime, des rires comme des verres brisés. Et cette main dans la mienne, une promesse d'éternité.

tu fais quoi de tes petites mains sinon ? L'hôpital, parfum chloré, le bip sonore des machines. Un aquarium dans lequel je survis en sous-marin. Une accalmie et me voilà dans les bois, à jouer les fous, les libertins, les bandits. Je file des services aux pompes funèbres pour m'habiller de noir et m'incruster l'air de rien aux enterrements. Le mien sera phénoménal. Bonbons, feux d'artifice, stripteaseuses, rockstars.


L'amour du rien. L'amour, ce vent contraire. Vent du nord.
Ses bras malicieux. Ses virulences. Ses envies belliqueuses.

Il n'a rien dit, il a fait l'amour sans un mot. Le souvenir d'un baiser au creux du coude, d'une caresse dans la nuque, d'un frisson curieux. Les draps ne sont plus vierges. Mes mains les froissent comme des papiers d'écoliers. Il est parti, sans rien laisser d'autre que des traces fauves sur mon anatomie. Un naufrage en toute beauté.

11:11 sur le cadran. Fais un vœu. Le retrouver. Revoir le désir au fond de ses prunelles. L'espoir qui tue la solitude. Une dernière fois, la dernière cigarette.

Un cadeau empoisonné dans les reins, les veines débordent. Une toux rouge, la débâcle du corps. Putain. Il était séropositif et il n'a rien dit. Il a laissé faire pour qu'on soit deux à souffrir. Jaloux de mon sang pur. Il a violé ma vie. Sans pudeur, comme ça, profitant de mon innocence. Ce garçon, je ne l'ai jamais revu. Il n'est jamais revenu.

Le blanc laiteux des murs ravagent ma vue. Blanc blanc blanc, du blanc puritain partout. Les contrôles, les médocs, les symptômes s'aggravent, les effets secondaires n'en parlons pas. Les chances sont minces. C'est trop tard. Quelques années, mois, minutes, je ne sais plus très bien. Je quitte mon linceul et je m'engouffre dans les chambres des filles que je kidnappe pour voir le monde. L'autre, le vrai, l'El Dorado.