t'es parti(e), qu'est-ce qui t'es arrivé pour que tu veuilles mettre les voiles comme ça ? Papa il a dit qu’il fallait partir (mais où ?), qu’il fallait arrêter de rêver (pourquoi ?), que y avait rien pour nous ici. Papa il a dit que la vraie vie elle était ailleurs, pas ici.
Alors on est partis.
On a fait nos valises et on est partis.
Maman elle m’a prise dans ses bras et elle dit que c’était pas grave, qu’on retrouverait nos hautes lumières autre part (ailleurs), qu’un jour on reviendrait (peut-être), que papa il avait juste peur (pour nous ?).
t'es parti(e), mais t'es surtout rentré(e), il s'est passé quoi là-bas ? C’est Dieu qui nous a punis. Il nous avait prêté son ange, pour qu’on la laisse sous les hautes lumières, mais nous on est partis, on a pas respecté le marché. On voulait aller loin (trop loin ?) et il avait peur de plus pouvoir la voir. Alors il a récupéré son ange personnel, pour plus jamais la perdre. Dieu il a emporté ma maman et papa il était triste, alors moi j’avais peur. J’avais peur qu’il aille en haut, pour disputer le tout puissant. Un soir j’ai vu papa devant la fenêtre, il fermait les yeux. Alors je l’ai pris par le bras et je l’ai secoué.
Je l’ai secoué une fois.
Je l’ai secoué deux fois.
Je l’ai secoué pendant l’éternité.
Mais il s’est pas réveillé papa. Il a ouvert les yeux trois jours plus tard. Il a pris nos affaires et on est partis. On est retournés sous les hautes lumières. Papa il a dit que c’était ici chez nous, qu’il avait été fou de croire le contraire. Mais moi je pense que papa il a peur, juste peur que si on revienne pas, Dieu il soit pas satisfait, et qu’il emporte son deuxième ange.
Mais moi j’aurais bien aimé que Dieu m’emporte.
(Pourquoi tu l’as pas fait, Dieu ?)
et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ? Maman elle m'a dit qu'il fallait que je reste avec papa. Alors c'est ce que je compte faire, rester avec papa, que ce soit ici ou ailleurs. Mais parfois j'me dis que j'aimerais bien, moi, rester sous les hautes lumières. Le monde extérieur, il me fait peur.
tu fais quoi de tes petites mains sinon ? J'aime faire des couronnes de fleurs, des origamis, masser le dos de maman, de papa, de mes amis, construire des objets, lancer des avions en papier pour colorer le ciel. J'aime faire des mimes, imiter des animaux avec mes mains, devant la flamme, devant le mur.
Mais j'écris surtout. Au lycée, je rêve (tout le temps), j'écris (souvent), j'écoute (parfois) et je retiens (peu). En-dehors de ça, j'aide papa. Il est agriculteur maintenant papa. Mais moi plus tard, je veux pas avoir à planter des choux, non, j'aimerais être rêveuse. Rêveuse, celle qui peint avec ses yeux les couleurs de son cœur, sur la peinture blanche de son âme.


Il est beau, le ciel. Nuit ou jour, quand je le regarde, il brille, il brûle, il étincelle. Quand j’étais plus jeune, maman, elle m’a dit qu’un jour j’irai vivre dans le ciel. Elle est jolie maman, elle ressemble à une étoile, avec ses cheveux couleurs d’or. Ses yeux saphir, ils me regardent toujours avec tendresse. Et quand elle me sourit, moi je sais que je pourrais toujours lui faire confiance, à maman. Et papa, papa lui il dit que j’devrais arrêter, arrêter de rêver, et vivre. Il dit que les rêves, c’est pour les enfants, et que moi j’suis plus une enfant. Il veut que j’étudie, il veut que j’trouve un travail. Papa, il veut pas me laisser regarder le ciel, papa il veut que je pense à mon futur. Quand il est trop dur, maman elle vient me consoler, me réconforter, elle m’explique qu’il est jaloux parce que lui, il a déjà perdu son étoile. Et moi je souris, moi je la regarde. « C’est toi son étoile. » Mais j’le dis pas, j’le dis jamais, elle le lit dans mes yeux, et elle me serre contre elle. Elle sent bon maman, elle sent la pomme et la vanille, elle sent la femme et la fleur. Elle sent la maman, ma maman.
Parfois j’vais m’allonger sur le banc, et je m’évade, et j’imagine. J’imagine si j’étais un nuage, je sens le vent sur ma peau, le soleil qui me réchauffe. J’imagine si j’étais une fleur, bercée par l’air, adorée par les abeilles. J’imagine si j’étais un ange, dans le ciel, à jouer avec les étoiles. Parfois je ferme les yeux et puis je m’endors. Et le temps il passe autour de moi, mais moi j’ai plus conscience de rien, je vole, vole, vole. Mais y a toujours un moment où papa il vient me réveiller. Il me secoue, il me crie dans les oreilles et j’entends la peur dans sa voix. Et je retombe sur terre, et j'ouvre les yeux. Je le regarde, et je comprends pas. Lui il se met à grogner, il se met à râler, il me dispute, et puis il part. Et moi je comprends toujours pas, moi je comprends rien, je comprends jamais rien aux histoires de papa. Mais maman elle dit qu’il s’inquiétait juste pour moi, que c’est pas grave, que ça lui passera. Alors je suis contente, parce que papa il s’inquiète pour moi, papa il m’aime, même si c’est un papa, même s’il est grognon, c’est mon papa.

Quand j’étais petite, maman, elle m’a dit qu’un jour j’irai vivre dans le ciel. Mais aujourd’hui, c’est elle qui est devenue un nuage, et moi, moi je suis bloquée sur terre.