les bobos dans leur petite forêt sans rien juste la nature, ça t'inspire quoi ? (question pour les bitume) À mes yeux, c’est une communauté mystérieuse. Elle m’intrigue. Leurs valeurs et leur mode de vie ne me laisse pas indifférent. Ces gens vivent pas très loin de moi, et pourtant, on dirait qu’il s’agit d’un autre monde. Et je crois que c’est un beau monde, sans béton et sans gaz, où ils peuvent être de vrais hommes sans artifices. Quand on vit une vie de merde comme la mienne et qu’on a pas confiance en l’humanité moderne, c’est plutôt attirant. Ces « bobos » me font frémir de curiosité.
entre nous comme ça, t'aimerais plutôt les rejoindre ou plutôt les voir s'envoler  ? (question pour les bitume) Une chose est sûre, c’est que depuis que j’ai connaissance de leur existence, un truc a changé dans la mienne. J’ai pas envie qu’il s’envolent. Pas déjà. Mais de là à les rejoindre… Je ne sais pas. J’ai peut-être « pas les couilles », comme dirait les jeunes gars de mon âge. Si la ville est une jungle, son hostilité m’est familière. Et je ne suis pas sûre d’avoir l’étoffe pour affronter une hostilité étrangère. J’ai peur d’abandonner les miens, même s’il n’y en a pas tant que ça. J’ai peur de ne pas pouvoir faire marche arrière si je m’y perds.
et tu comptes rester encore longtemps ici, ou c'est juste pour une petite durée ? Pour de nombreuses raisons, je n’ai pas pour projet de bouger. Pas pour l’instant. À Rieu, j’ai mon petit appartement dans un immeuble vieux de mille ans, pas très loin de la maison de mon père, à qui je rends régulièrement visite. Je vis ici depuis toujours, même si j’ai toujours rêvé de dégager. Dans ma tête, j’y suis encore pour une éternité. Parce que j’ai jamais eu de chance et parce que tout le monde sait que les rêves, par définition, ça reste imaginaire. Il m’en faudrait très peu pour tout claquer et partir, mais sérieusement, ce très peu, ça relève d’un miracle.
tu fais quoi de tes petites mains sinon ? Mes petites mains sont à la plonge d'un petit restaurant de Rieu. J'en fais quelque chose de minable alors que j'aurais voulu faire bien mieux avec. J'avais des rêves d'écrivain. Au lieu de ça, je me retrouve les mains dans l'eau, à laver tous les soirs les couverts sales du Poisson d'argent. Fut un temps où j'occupais le poste de serveur, beaucoup moins minable, mais c'était avant mon accident. Après ça, j'étais moins efficace, plus empoté, alors on m'a "rétrogradé". La vie de merde qui se renforce. Heureusement qu'il y a ma guitare, que je gratte de temps à autre dans un bar, pour me changer les idées et arrondir les fins de mois.



On peut être confronté à la mort à chaque instant de la vie. Samuel, dit "Sam", vit sa mère mourir d'un AVC lorsqu'il avait quatre ans. Son père ne s'est pas laissé abattre longtemps et a pris son fils unique en charge. Ainsi, Sam a été élevé uniquement par son père, un père aimant et attentionné qui a toujours voulu le meilleur pour son fils, et qui n'a jamais remplacé l'amour de sa vie. Sam n'a jamais eu de mère, et c'est peut-être ce qui lui a manqué le plus. Mais il fut le témoin d'un amour qui n'est jamais mort.

Le père de Sam lui a appris des tas de choses, a passé énormément de temps avec lui. Il lui a transmis sa passion pour la pêche ; encore aujourd'hui, père et fils se retrouvent le dimanche, sur leur barque, seuls au monde au milieu d'un lac. C'est de son père que Sam tient ses valeurs.

Sam est un garçon bien élevé. Un peu sauvage sur les bords, timide, difficile à apprivoiser. Son regard est froid quand il est de mauvaise humeur. C'est un jeune homme impulsif, nerveux, qui peut se montrer agressif sous son plus mauvais jour. Mais il tente de refouler ses tendances "ours". Alors, en public, il arbore souvent un air neutre, détaché. On le pense j'en-foutiste. C'est sa carapace. Il n'a pas énormément d'amis, et pourtant, il en aurait bien besoin. Il ne demande que ça. Jeune, il était un peu le bouc émissaire des autres enfants. Il a appris à se défendre, à garder son sang froid, mais ça l'a rendu introverti, un brin sarcastique. C'est ce qui lui a fait comprendre que l'humanité est dangereuse, que l'homme est un être mauvais. Vous allez sûrement penser que Sam est un peu misanthrope, mais au fond, c'est un coeur tendre lorsqu'on est proche de lui. Dévoué, loyal et droit à cent pour-cent. Lorsqu'il aime, il se transforme en hypersensible et il s'accroche à ce bout de bonheur. C'est ce qu'il y a de plus précieux dans une vie et il le sait. S'il n'avait personne à aimer, à quoi cela rimerait-il de continuer à vivre une vie aussi minable ?

Son imagination, il la tient davantage de l'école. Toujours, Sam a adoré apprendre, lire, écrire, imaginer, jouer de la musique. Il jouait de la guitare en autodidacte et était très doué. Il a fait des études brillantes, mais elles se sont arrêtées trop tôt pour lui, faute d'argent et faute d'universités dans le coin. Sam n'est pas allé plus loin que le lycée, et il a compris très vite qu'il ne serait jamais un grand écrivain, ni un grand musicien, ni un grand penseur. Ce fut la déchéance, la désillusion la plus violente qu'il ait pu vivre, car cela l'a rendu pessimiste, défaitiste. Sam ne croit pas en lui, ne croit pas au miracle. Il constata juste que sa vie sera une vie ordinaire version "moins", une vie à 9 ou 10/20. Rieu semble être la ville de sa vie, à son plus grand désarroi.

Pour se canaliser, se vider, Sam aimait faire du sport. Il partait courir en forêt pendant des heures, nager dans le lac, ou escalader des arbres. C'était avant son accident. Un matin, il y a un an, Sam aidait à décharger un camion de livraison au Poisson d'argent. Lors d'une manoeuvre du véhicule, Sam s'est bêtement fait bousculer par l'engin, le conducteur n'étant pas bien réveillé, et le camion lui a généreusement roulé sur la cheville gauche.
Depuis, Sam boitille, probablement à vie.

Lorsqu'il se retrouve seul, Sam aime méditer, réfléchir. Un jour, sur un coup de tête, il est entré à l'église de Rieu. Là, il s'est lié d'amitié avec un prêtre, avec qui il pouvait parler philosophie. Sam est quelqu'un de foncièrement athée, mais cela ne l'empêche pas de croire. C'est un luciférien, un romantique. Pour lui, il y a une force dans le monde : celle de la nature. Tous les flux de vie, les énergies, les âmes, les êtres, sont unis par cette force. Elle est partout, elle est parfaite. Il croit en la possibilité d'une fusion parfaite entre l'homme (imparfait) et la nature, fusion possible par une quête intérieure.

Lorsqu'il découvrit l'existence de cette société, les Hautes Lumières, Sam ne put s'empêcher d'y voir une chance de se sauver, de se libérer d'un monde déchu, de connaître la symbiose, d'atteindre l'absolu.