il fait noir, comme les ténèbres dehors.
c'est un peu la mort, un peu l'enfer.
pour une fille, c'est pas imaginable.
mais luna c'est pas une fille.
alors luna elle marche dans les catacombes en haut-talon.
mais en faites elle est en jean basket, un vieux tee-shirt, pas trop coiffée et les yeux dans les poches.
l'haleine de la veille. la gueule de l'an dernier. le corps en miette.
et elle aura la même chose demain.
luna elle marche dans la mort, elle peut parce qu'elle est morte.
mais vivante un verre à la main.

elle ouvre la porte du bar. elle cherche du regard son préféré.
quand elle le voit elle ne sourit pas, elle sourit jamais. mais elle s'avance et s'asseoit en face de sa petite tête.
l'habituel, beau garçon.
elle se penche au dessus du comptoir et lui claque un baiser sur la joue.
et se rassoit gentiment, le regard plein de paroles muettes

le tintement des pintes qui s'entrechoquent,
la bière coule à flot sur les mentons des assoiffés,
sa pue l'alcool, sa pue la misère, mais toi t'es là,
t'es là comme toujours à user le comptoir avec ton désespoir,
t'es là à noyer ces vieux soulards contre leurs petits billets,
t'es là à écouter leurs aventures de vieilles crevures,
t'as l'âme qui vogue ailleurs, vers des horizons meilleurs,
y'a que ton corps en charpie qui trône là pour faire mirage,
pour faire comme tout le monde avec sa petite vie bien rangée,
bien équilibrée, bien taillée.

la porte s'entrouvre sur les méandres de la nuit,
la plus belle paire de fesses du comté vient de ramener,
sorti de nulle part juste pour illuminer ta soirée,
machinalement ça grouille au fond de toi,
ta queue se réveille, ton cerveau se réactive,
comme un chien qui retrouve son maître adoré,
l'indomptable s'est pointé pour t'embrasser,
quelque part pour te ramener à la vie, te faire sortir de ce trou pourri,
princesse
tes lèvres s'étirent pour un rictus maladroit,
pour répondre à celui qu'elle ne t'offre pas,
dans le fond d'un verre tu verses le fond d'une bouteille,
n'importe quoi pour peu qu'elle puisse s'y noyer,
laisses moi deviner... Sash' a pas assuré pour que tu tires cette gueule
blague à part pour tirer la corde toujours un peu plus,
les politesses entre vous c'est dépassé,
ton verre vient chanter contre le sien,
faut trinquer à cette soirée pourrie,
à vos vies qui sonnent déjà comme finies.

 

luna est assise. les pieds qui pendent. le vide, la gravité les appellent.
elle les laisse bouger au rythme de la vie. ils cognent régulièrement contre le comptoir.
est-elle énervée ? elle fait ça tout l'temps.
à chaque fois qu'elle veut se noyer. où qu'elle se noie déjà et qu'elle cherche à sortir de la tête de l'eau.
andy est sa bouée et son ancre. il la fait flotter dans ce monde et l'enfonce un peu plus dans les abysses.
et sasha c'est pareil. c'est malsain, c'est mal. mais elle aime ça.
elle aime avoir mal, luna. elle adore ça.

elle jette à andy un regard noir. avant que ses lèvres ne forment une suite, enfantine de:
gnagnagna
et sa tête se déforme au fil de la grimace.
reste-elle tout de même belle ? personne ne sait, elle espère (secrètement).
ta gueule, bird.
et sa tête reprend sa forme originel, celle de la boudeuse. pas contente.
elle envoie, directement, dans son gosier le liquide qui lui brûle l’œsophage.
mais elle grimace pas, pas plus que d'habitude.