d'ici t'entends la fraîcheur des cascades. les fracas hypnotiques de l'eau pure. loin de ton havre de paix au milieu du lac, aujourd'hui, t'as besoin de la violence des chutes. tu veux sentir l'eau taper sur ta peau. plus fort que le soleil. plus fort que les étoiles encore. t'auras jamais le courage de sauter. peut-être juste de chercher une porte derrière le mur d'eau, comme dans les histoires du soir. mais sauter. perdre pied. sentir le vent dans tes cheveux. ton coeur dans ta gorge. non. tu te contenteras comme d'habitude d'écouter. écouter les secrets des rouleaux d'eau, loin des regards indiscrets.
tu sauteras pas. et pourtant tu montes toujours là-haut. là où on saute. mais tu sauteras pas, la pierre sous tes pieds nus est déjà trop fragile pour toi, alors le vide. avant d'arriver au bord de la forêt, là ou se jette la détresse des têtes blondes, tu reconnais quelqu'un. quelqu'un. c'est trop peu pour la décrire. tu lances avec toute la douceur du monde dans la voix ; « t'as déjà sauté? » t'as déjà pensé à me dire pourquoi? t'as déjà pensé à tout me montrer comme avant? mais tu te tais.

trois mots. et pourtant t'as comme l'impression de briser son souffle. de faire taire le vent de la forêt. d'adoucir le fracas des cascades. mais surtout pas celui dans son cœur. t'arrives presque à lire l'énervement sur ses bras et ses jambes qui étaient déjà prêts à s'abandonner au vide. t'aimerais savoir la déstabiliser mais ça a l'aire insolite. éloï, elle a ses lois. et toi t'en as pas. si tu l'as empêché de voler, tu sais que tu l'as pas si perturbé que ça. t'es même pas sûr qu'elle ait ouvert les yeux. pourtant t'aimerais bien. voir ses pupilles se dilataient dans les tiennes. la couleur de ses yeux parcourir ton torse-nu. mais non.
« tu vois pas que j'allais le faire ? » si. sans moi. t'allais le faire sans moi. comme tout. comme tout le temps depuis que t'as décidé de te cacher de moi. cacher ce qu'on partageait. t'aimerais bien lui dire ça. mais si t'as pas le courage d'embrasser l'air du vent t'auras pas celui de lui cracher ça, c'est mille fois plus dur. surtout qu'elle ajoute ; « t'as tout gâché. comme toujours » elle l'a dit si doucement que t'es pas sûr de l'avoir entendu. alors tu continues. tu veux la troubler plus fort que ces eaux. « t'es belle quand tu mens. » tu souris dans l'coin de ta bouche. « on pourrait sauter ensemble. » mais t'es sûr qu'elle refusera, sinon tu demanderais pas.

ton coeur rate un battement. où bat trop vite. trop fort. trop pour la saison. tu ne saurais dire pourquoi. peut-être l'angoisse de mots si tranchants qui te sont destinés. t'aurais préféré qu'elle saute. qu'elle s'envole avec tes paroles trop gentilles pour qu'elle puisse les accepter. les écouter et les rendre. elle est comme un couteau qu'on remue dans la plaie. une plaie. un vide dans toi. son indifférence aiguise à chaque seconde un peu plus le couteau comme une dent de loup.
t'arrives même pas à lui décrocher un sourire. même pas quelque chose de sarcastique. ou cruel. quelque chose, tu t'en fous. tu veux juste qu'elle te fasse ressentir le monde sur son visage. elle te demande d'avoir à quoi tu joues. à la vie. puis qu'elle n'a pas besoin de toi, qu'elle t'aurait fait signe si c'était le cas. tu te refuses à croire ça. ses mots sous des cailloux qu'elle te jette. chaque fois un peu plus durs. plus lourds. « ça change quelque chose si MOI j'ai besoin de toi? » elle est sûrement trop égoïste pour ça aussi. t'es en situation de faiblesse. tu te noies sous le poids des pierres. « c'est parti d'où tout ça? » c'est ta façon de dire que tu mérites pas ça.